Par Nicholas Lever
Rabat – Sur un continent comme l’Afrique, où les perspectives de croissance démographique et économique sont les plus élevées au monde dans les 50 prochaines années, la production d’énergie devient un facteur décisif tant en termes de développement que de stratégie. Cela signifie que parmi les pays africains, ceux qui sont les mieux à même de relever ce défi remporteront la compétition pour le leadership. Mais ce n’est pas seulement une question de capacité de production. L’énergie a toujours été synonyme de pouvoir économique, politique et social. Si l’on ajoute à cela une perspective consolidée qui voit l’énergie fossile décliner au profit de l’énergie renouvelable la moins chère, on comprend comment, en Afrique, le jeu de l’énergie pourrait rapidement faire bouger la carte du pouvoir, modifiant les poids actuels. En d’autres termes, les futurs protagonistes de la scène africaine seront les pays qui réussiront à se convertir aux énergies renouvelables le plus rapidement possible et de la manière la plus efficace. Dans le scénario actuel, les pays qui progressent bien dans cette direction, suivant le système de règles qui régit les marchés internationaux, sont le Maroc et ensuite l’Afrique du Sud, suivis de la Zambie, du Kenya et de l’Ethiopie. Des pays qui ne sont pas par hasard sans sources d’énergie fossile d’une certaine importance. Le pays le plus méridional du continent a depuis longtemps abandonné l’énergie nucléaire, un choix qui est peut-être évident aujourd’hui mais qui, il y a quelques années, n’était pas aussi accepté et partagé. Dès lors, Johannesburg s’est résolument tournée vers l’énergie propre, donnant naissance à une série de projets qui ont attiré d’importants investisseurs étrangers. De plus, les appels d’offres pour la construction de nouvelles centrales (principalement éoliennes et solaires) se succèdent avec une certaine régularité. La conception juridique et bureaucratique des appels d’offres est également conforme aux normes internationales. Bref, le Maroc historiquement et l’Afrique du Sud sont bien placés. En fait, en utilisant une métaphore de la voiture, on pourrait dire qu’ils sont actuellement en « pole position ». Le Maroc surtout s’est engagée depuis longtemps sur la voie des énergies renouvelables, elle l’a déjà fait avant et mieux que beaucoup d’autres. Le promoteur de cette ligne est le roi Mohammed VI, qui, avec une vision éclairée (il faut le dire), n’a pas hésité à pousser le pays dans cette direction « propre » d’un point de vue environnemental et pratique d’un point de vue économique. Avec l’adoption d’un plan national pour les énergies renouvelables, le Maroc a en effet ouvert une voie importante qui inspire déjà d’autres pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. L’idée de base est d’utiliser les programmes parrainés par le gouvernement pour connecter les fournisseurs privés d’énergie renouvelable au réseau électrique et atteindre ainsi un double objectif à long terme: encourager la production privée et se démarquer de plus en plus des sources traditionnelles. Poussé par le Roi Mohamed, le Maroc a des objectifs ambitieux en termes de diversification de son bouquet énergétique national. L’objectif déclaré est d’augmenter la production d’énergie renouvelable à 42 % de la capacité totale installée d’ici 2020 et à 52 % au moins d’ici 2030. Cette ambition s’explique également par la croissance de la demande énergétique du pays, qui devrait augmenter de 250 % entre 2015 et 2030. Sur le plan réglementaire, la pierre angulaire de ce plan est la loi n° 13.09 de 2009. Cette loi permet aux entités privées de développer des projets de production d’électricité à partir de sources renouvelables et de vendre de l’électricité directement aux gros consommateurs, tout en assurant l’accès au réseau électrique pour le transport de l’électricité.
Grâce aussi à cette structure réglementaire, le Maroc a enregistré une capacité supplémentaire de 2 760 MW d’énergie éolienne et solaire entre 2009 et 2015, portant la part de l’énergie éolienne et solaire dans la capacité installée de 2% à plus de 12%. Le cadre réglementaire a ensuite été affiné pour inclure un système de mesure solaire photovoltaïque (PV) pour les éoliennes terrestres, afin que les producteurs privés raccordés au réseau haute tension puissent vendre jusqu’à 20% de leur production à l’ONEE la société qui exploite le réseau national du Maroc. Bref, le Maroc est une réalité qui fonctionne et qui, comme nous l’avons dit, est prise en exemple par d’autres pays d’Afrique et du Moyen-Orient.
Cependant, il y a une question qui demeure centrale pour tout le monde en Afrique, y compris le Maroc. C’est une question qui peut se résumer en quatre concepts : 1) les marchés doivent être libéralisés ; 2) les contrats doivent être attribués conformément aux normes internationales ; 3) la bureaucratie doit être rapide et efficace ; 4) l’accès aux réseaux de distribution et doit être également rapide et équitable. Soyons clairs, ce sont des règles qui s’appliquent partout pour un fait simple : l’accès, la transparence et la rapidité sont synonymes de réduction des coûts, d’efficacité et de croissance. Mais précisément pour les raisons que nous avons dites au début, à savoir que l’Afrique est un continent en expansion où prédominent ceux qui travaillent vite et bien, la question des règles dans ce jeune continent devient décisive. Prenons le cas de l’ONEE: l’Office national de l’électricité et de l’eau est une structure importante, bien organisée et décisive pour l’avenir énergétique du Maroc. La preuve de cette importance a été certifiée lors du dernier sommet du GSEP (Global Sustainable Electricity Partnership) qui s’est tenu à Tokyo, au cours duquel ONEE a été admise comme membre du tout petit club des grands opérateurs mondiaux qui regroupe les Etats-Unis, la France, l’Italie, la Russie, le Canada, le Japon, la Pologne et la Chine. Fondé en 1992, le GSEP rassemble les leaders mondiaux de l’électricité engagés dans le développement énergétique durable. Pour ses membres, le forum offre une occasion exceptionnelle d’échanger des idées et des informations stratégiques sur les facteurs qui permettent une transformation profonde du secteur énergétique. La décarbonisation, la numérisation, la décentralisation et la déréglementation sont quelques-uns des facteurs clés qui ont été abordés lors du dernier sommet au Japon. Pour ONEE, être admis au GESP est certainement l’aboutissement d’un parcours. Au cours du sommet, le DG de l’Office marocain ONEE, Abderrahim El Hafidi, a exprimé sa satisfaction quant à l’objectif atteint et a exprimé la volonté de son entreprise de partager ses expériences, en particulier avec le reste des pays africains, où des progrès significatifs restent à faire dans l’électrification. Et l’enjeu est précisément le suivant : si ONEE veut devenir la référence continentale en matière d’énergies renouvelables et durables, elle doit elle-même améliorer ses performances en termes de libre concurrence, de rapidité et de garantie de l’égalité des chances. En bref, en paraphrasant Forrest Gump, nous pourrions dire que « le leader est, qui le fait le leader ». C’est ce que les opérateurs et le marché attendent d’une institution comme ONEE et d’un pays leader comme le Maroc, où, pour ne citer qu’un exemple, un instrument fondamental pour le marché, l’Autorité, a été mise en place mais n’est pas encore entrée en fonction. Au début, nous avons également fait référence à d’autres pays qui sont des acteurs énergétiques en Afrique, comme la Zambie, le Kenya et l’Ethiopie, un pays, ce dernier, où la semaine dernière a eu lieu RES4Africa, un important forum international consacré aux énergies renouvelables. A cette occasion, Antonello Cammisecra, directeur général d’Enel Green Power, le géant italien leader mondial de l’énergie propre, a répondu aux journalistes à propos d’un appel d’offres lancé en Ethiopie par son entreprise il y a environ deux ans, en disant une chose très simple : « soit nous commencerons les travaux de la centrale de Metehara avant juillet, soit nous irons ailleurs ». Le défi pour l’Ethiopie, le Maroc et toute l’Afrique est de vraiment suivre les règles qui dominent les marchés mondiaux. C’est ce que doivent faire les grands opérateurs internationaux comme EGP, ainsi que le Maroc et l’Ethiopie. Comprendre cela signifie prendre l’esprit du temps et être capable de relever le défi énergétique de ce siècle avec la bonne approche. Au contraire, les processus s’étendent, les défis se perdent et d’autres acteurs conquièrent la scène. Le grand artiste britannique Francis Bacon disait : « Un sage saisit plus d’opportunités qu’il n’en trouve ». L’Afrique n’a besoin que d’un peu de sagesse pour saisir les grandes opportunités qui s’offrent à elle.
(RED – Giut)