Nairobi, 25 oct 2017 (AFP)

Le chef de l’opposition au Kenya, Raila Odinga, a appelé mercredi les électeurs à rester chez eux lors de l’élection présidentielle de jeudi, qui a d’ores et déjà entamé l’image démocratique du pays et menace de le plonger dans une période de forte instabilité.
« Que faisons-nous demain? Ne participez en aucun cas à cette parodie d’élection, convainquez vos amis et vos voisins de ne pas participer », a déclaré M. Odinga, lors d’un grand rassemblement dans un parc du centre de Nairobi. « Tenez des veillées et des prières à l’écart des bureaux de vote ou restez chez vous », a-t-il ajouté.
Raila Odinga « est notre père (…) le véritable président du peuple. Demain, nous resterons à la maison et il n’y aura pas d’élection ici. Les bureaux de vote peuvent ouvrir si ça leur chante mais personne ne viendra », a réagi auprès de l’AFP Meschack Opiyo, 38 ans, un habitant de Kisumu, un bastion de l’opposition dans l’ouest du pays,
Un peu plus tôt, le chef de la Commission électorale (IEBC), Wafula Chebukati, avait confirmé dans un discours à la Nation la tenue du scrutin de jeudi, organisé à la suite de l’invalidation de la réélection en août du président Uhuru Kenyatta, une première sur le continent africain.
M. Chebukati, qui avait émis de sérieux doutes la semaine dernière sur la possibilité d’organiser un scrutin crédible, a mis en avant mercredi les « assurances » données par les autorités pour garantir la sécurité de tous et les « progrès » réalisés selon lui au sein de l’IEBC, pour justifier le maintien du scrutin.
Marquée par de nombreux rebondissements, la saga de la présidentielle 2017 avait auparavant fait un rapide détour par la Cour suprême, celle-là même qui avait invalidé l’élection du 8 août, jugée « ni transparente, ni vérifiable ».
Mais en moins de cinq minutes, le président de la plus haute juridiction du pays, David Maraga, a douché les espoirs de ceux qui souhaitaient un report de l’élection afin de laisser le temps à l’IEBC de se réformer et de convaincre M. Odinga, 72 ans, de revenir dans le jeu.
M. Maraga a expliqué que la Cour ne pouvait examiner le recours, en l’absence de cinq des sept juges, pour des raisons variées (maladie, « incapacité », problème d’avion).
– ‘Résister à la dictature’ –
Le climat politique s’est nettement détérioré ces dernières semaines pour devenir délétère, les deux camps multipliant les invectives et les déclarations menaçantes.
Au moins 40 personnes ont été tuées depuis le 8 août, la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police dans des bastions de l’opposition, selon les organisations de défense des droits de l’homme.
M. Chebukati avait tenté la semaine dernière de réunir les deux principaux candidats pour discuter d’une sortie de crise et faire baisser la tension dans le pays.
Mais de dialogue il n’y a pas eu et quelque 19,6 millions d’électeurs inscrits sont appelés à se rendre aux urnes jeudi pour une élection qui devrait se résumer à un cavalier seul du sortant Kenyatta, fils du père de l’indépendance du pays, Jomo Kenyatta.
En l’absence de M. Odinga, les six autres petits candidats sont condamnés à jouer les faire-valoir.
Raila Odinga, lui-même fils d’un héros de l’indépendance, Jaramogi Oginga Odinga, s’était retiré de la course le 10 octobre, jugeant que les réformes susceptibles de garantir la tenue d’un scrutin libre et équitable n’avaient pas été menées à bien.
« Si le Kenya succombe à la dictature, l’Afrique entière sera en danger », a-t-il insisté mercredi. « A partir de demain, le devoir de chaque citoyen chérissant la liberté (…) est de résister à la dictature et de se battre pour rétablir un gouvernement respectueux de la Constitution. »
Il a aussi annoncé le lancement d’un « Mouvement national de résistance » contre « l’autorité illégitime du gouvernement ».
– Lassitude et anxiété –
L’opposition a déjà organisé de nombreuses manifestations, cantonnées à quelques uns de ses bastions, pour réclamer des réformes depuis l’annulation du précédent scrutin.
Mercredi, à Kisumu, environ un millier de manifestants ont une nouvelle fois défilé dans le centre-ville au cri de « pas de réformes, pas d’élection ». Un jeune homme a plus tard été blessé par balle lors d’échauffourées avec la police, selon des témoins et un photographe de l’AFP.
Boycotté par l’opposition, le scrutin sera également en partie boudé par les observateurs internationaux: l’Union européenne et la Fondation Carter, citant des raisons de sécurité, ont réduit la taille de leur mission.
Dix ans après les pires violences post-électorales de l’histoire du Kenya indépendant (depuis 1963), qui avaient fait plus de 1.100 morts, la crise politique actuelle a plongé le pays dans une incertitude mêlée d’anxiété.
L’économie la plus dynamique d’Afrique de l’Est tourne au ralenti et de nombreux Kényans ne cachent pas leur lassitude face à cette période électorale prolongée.